BUDGET DE L’ÉTAT

BUDGET DE L’ÉTAT
BUDGET DE L’ÉTAT

Le budget, terme actuellement abandonné par le droit positif français qui lui préfère l’expression «loi de finances de l’année», est défini à l’article 2 de l’Ordonnance du 2 janvier 1959 portant «loi organique relative aux lois de finances»: «La loi de finances de l’année prévoit et autorise, pour chaque année civile, l’ensemble des ressources et des charges de l’État.» Cette définition, qui comporte quelques lacunes, ne laisse pas percevoir l’évolution profonde qui s’est produite en matière budgétaire depuis le XIXe siècle.

Le XIXe siècle, dominé par la philosophie libérale, prônait la neutralité des finances publiques. Non seulement le budget ne devait pas avoir d’effets économiques perturbateurs des «équilibres naturels», mais il ne s’inscrivait pas dans la ligne d’une quelconque planification économique et financière alors inexistante. Le droit budgétaire de l’époque avait pour objectif essentiel de permettre au Parlement un contrôle efficace sur le gouvernement, aussi bien dans le domaine financier proprement dit que dans les autres secteurs politiques pour lesquels il accordait ou refusait des crédits.

À l’heure actuelle, ce premier objectif subsiste bien, mais il n’est plus le seul. Dans les principaux pays occidentaux, sous l’effet des crises et des guerres, comme dans les pays socialistes en raison de l’idéologie dominante, le budget n’est plus indifférent à l’économie. Au contraire, il s’insère dans l’évolution économique et il met en œuvre une politique financière à impacts économiques.

L’insertion du budget dans l’économie est normale dans les pays socialistes. Mais elle se rencontre aussi dans les démocraties occidentales, comme en témoignent les documents économiques qui accompagnent le projet de budget. En France, un fascicule spécial présente un Rapport économique et financier qui dresse le bilan de l’année écoulée, formule des perspectives d’avenir et situe les nouvelles dispositions budgétaires proposées dans le cadre de ces perspectives. En Angleterre, l’Economic Survey et surtout le budget speech prononcé au début de la discussion budgétaire jouent un rôle semblable. Aux États-Unis, la situation économique est décrite dans le Rapport économique du président , et les conséquences sur le plan financier en sont tirées dans le «message budgétaire» que le président fait lire devant le Congrès en janvier.

Le droit budgétaire a été obligé de tenter une difficile conciliation entre l’indispensable survie du contrôle parlementaire et les nouvelles exigences de la planification financière. Il a fallu l’adapter, mais il ne s’est pas complètement transformé et il conserve encore «comme le souvenir de son ancienne signification libérale». Parfois ses règles ont subi des mutations profondes: ainsi en témoigne le partage actuel des compétences entre législatif et exécutif dans l’établissement du budget. D’autres fois, ses règles ont survécu, plus ou moins difficilement, en façade, mais elles sont minées de l’intérieur par de multiples exceptions, comme le montre l’examen des grands principes qui décident de la présentation et du contenu du budget.

1. Les nouvelles missions du budget et l’évolution du partage des compétences entre exécutif et législatif

Tant que les règles du droit budgétaire tendaient simplement à permettre un contrôle méticuleux du législatif, le budget était un document «souple», aisément malléable, et la part du législatif dans son établissement était assez grande. En revanche, à partir du moment où le budget recherche une action économique précise, il devient «rigide» parce qu’il doit rester cohérent. Le rôle principal dans son établissement est alors assuré par l’exécutif, et le Parlement, à la limite, pourrait ne conserver que le droit de l’accepter ou de le refuser. Ainsi les nouvelles missions budgétaires provoquent un changement dans la répartition des compétences au profit de l’exécutif et au détriment du législatif, avec cependant de sensibles nuances selon que le pays pratique un régime présidentiel ou un régime parlementaire.

En régime présidentiel, la ligne de partage a beaucoup moins changé sous l’effet des nouvelles missions du budget qu’en régime parlementaire. Certes, on relève bien une évolution favorable à l’exécutif comme en témoigne le changement survenu aux États-Unis dans la préparation du budget. Avant 1921, les commissions du Congrès élaboraient elles-mêmes la proposition du budget à partir des renseignements fournis par l’Administration. Il en résultait d’ailleurs un document assez incohérent et ce système n’a pu survivre que grâce à un excédent annuel de recettes. Mais dès que les problèmes de l’équilibre budgétaire et de l’action économique du budget se sont posés, il a fallu abandonner cette compétence législative. La loi du 10 juin 1921 a confié au président, assisté du Bureau du budget, le soin de préparer le projet du budget. De même, les pouvoirs du Congrès ont été coutumièrement limités en ce qui concerne le droit d’amendement des projets de dépenses: la Chambre des représentants ne peut que proposer des réductions de dépenses et le Sénat ne vote pas de rétablissements de crédits supérieurs aux chiffres initialement prévus par le président. Mais, au total, en régime présidentiel, l’accroissement des pouvoirs de l’exécutif en matière budgétaire demeure limité, car il se heurte à la séparation des pouvoirs. Le respect de ce principe organisateur du régime accorde une très large liberté d’action au Congrès. Il suffit pour s’en rendre compte de mentionner ses conséquences au niveau de la discussion parlementaire. Contrairement à ce qui se passe en régime parlementaire où le gouvernement intervient à chaque instant pour défendre son projet, les liaisons indispensables en régime présidentiel ne peuvent s’effectuer que par le «message budgétaire» du président et l’audition des secrétaires d’État par les commissions des Chambres. Mais cette procédure ne permet pas une défense très efficace du projet, qui est parfois très profondément amendé par le législatif comme en témoignent les coupures faites ces dernières années, aux États-Unis, dans les projets présidentiels de dépenses d’aide à l’étranger.

En régime parlementaire, la situation est très différente en raison de la collaboration des pouvoirs, qui peut s’établir à des niveaux différents. C’est dans ces régimes que le partage des compétences entre législatif et exécutif a subi des changements en profondeur et qu’à l’époque actuelle la collaboration de ces pouvoirs s’établit selon de nouvelles modalités défavorables au législatif. Ce mouvement est surtout visible dans les constitutions récentes; à cet égard, si les choses sont sans doute plus avancées en France que dans d’autres pays, le changement est perceptible partout.

Le rôle actuel de l’exécutif en matière budgétaire dans un régime parlementaire

La préparation du budget

L’exécutif est tout d’abord chargé de la préparation du budget. Historiquement, il n’en a d’ailleurs pas toujours été ainsi. En France, la Constitution de 1791 confiait exclusivement la préparation du budget au législatif, et celle de l’an III réservait au Conseil des Cinq-Cents l’initiative des mesures budgétaires. Mais à l’heure actuelle, la situation est complètement renversée, soit que la Constitution ou la loi décident expressément le monopole gouvernemental en la matière comme en Italie ou aux États-Unis, soit dans le silence des textes constitutionnels comme en France ou dans la république fédérale d’Allemagne, soit en raison de la coutume comme en Angleterre. Ce monopole gouvernemental tient d’ailleurs autant à des raisons pratiques que théoriques. L’établissement d’un projet de budget exige un travail de spécialistes et la synthèse de renseignements dont ne disposent pas les parlementaires. En outre, comme il est impossible de satisfaire toutes les demandes de crédits des administrations, il faut recourir à des arbitrages qui sont naturellement l’œuvre du gouvernement. Enfin, un projet de budget n’est pas une simple juxtaposition de recettes et de dépenses, mais constitue un ensemble cohérent poursuivant des buts précis; et il est normal que le gouvernement, chargé de déterminer la politique de la nation, définisse les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre de cette politique.

L’exécutif, en régime parlementaire, est ensuite chargé de suivre les débats budgétaires devant les Chambres. Il doit présenter et défendre son projet, éventuellement poser la question de confiance pour obtenir le rejet d’amendements qui le défigureraient.

L’exécution du budget

Enfin, l’exécutif est chargé de mettre en application le budget, et c’est une mission qui, dans certains pays, revêt une grande importance. Pour ce faire, le gouvernement agit de deux manières: après le vote du budget, il peut être amené à procéder à la répartition des crédits votés par le Parlement et, en cours d’année, il lui appartient de proposer les modifications imposées par les événements et même parfois de les mettre en application de sa propre autorité.

Le problème de la répartition des crédits votés par le Parlement se pose différemment selon le degré de précision de l’autorisation législative et, à cet égard, l’exemple de la France est typique. Sous la IIIe République, la loi du 16 septembre 1871 prévoyait le vote des dépenses par chapitres, c’est-à-dire par masses relativement petites. L’autorisation législative était donc donnée avec beaucoup de précision et la liberté d’action gouvernementale était très faible. Mais, en la matière, l’évolution constante a consisté à demander au Parlement de se prononcer sur des masses de crédits de plus en plus grandes, en s’inspirant de l’Angleterre où ne sont pas remis en cause, chaque année, les crédits du «fonds consolidé». On en est arrivé à demander au législateur de se prononcer en une seule fois sur les «services votés», c’est-à-dire sur l’ensemble des dépenses dont le principe a été adopté les années précédentes et qui constituent la plus grande part des dépenses publiques. En ce qui concerne les «autorisations nouvelles», la même évolution a conduit le Parlement à les voter par titre et par ministère. La répartition de ces masses devient une prérogative gouvernementale importante, bien que le gouvernement ne soit pas libre d’y procéder comme il l’entend, mais soit obligé de respecter le projet de répartition qu’il a soumis au Parlement, pour information, pendant la discussion budgétaire.

Plus important est le rôle de l’exécutif dans les modifications qu’il faut apporter au budget pendant son exécution. Naturellement, il est impossible, au moment de son élaboration, de prévoir avec exactitude tous les problèmes qui surgiront pendant l’année de son application. Des retouches pourront s’avérer nécessaires pour faire face à des situations imprévisibles et urgentes. C’est au gouvernement qu’appartient l’initiative de ces retouches. Mais, pour respecter la procédure normale, il doit demander au Parlement de voter les modifications nécessaires par une «loi de finances rectificative». Dans certains cas, l’urgence l’autorise cependant à prendre lui-même les décisions, quitte à demander ultérieurement une ratification au Parlement. Cette dernière procédure augmente considérablement sa liberté d’action. Il suffit qu’il interprète largement la notion d’urgence pour pouvoir agir seul, et la ratification parlementaire, pour peu qu’elle tarde, devient une simple formalité: les crédits ouverts ayant effectivement été engagés, on voit mal comment le législatif pourrait la refuser ou quels seraient les effets juridiques ou politiques utiles d’un refus de ratification.

Le rôle actuel du législatif en matière budgétaire dans un régime parlementaire

Traditionnellement, le Parlement dispose du droit de discuter le budget, de l’amender, de le refuser et de contrôler son exécution. À l’heure actuelle, à l’exception du droit de le refuser, qui reste entier, les autres droits du Parlement en matière budgétaire subsistent mais sont de plus en plus limités dans certains pays et, de ce point de vue, la Constitution française du 4 octobre 1958 est celle qui adopte les solutions les plus restrictives.

La discussion du budget

Le droit de discuter le budget est évidemment le droit minimum dont doit disposer un Parlement. Son principe n’est pas contestable, mais des difficultés risquent de se produire si la discussion s’éternise et si le budget n’est pas voté au début de l’année de son application. La question consiste à savoir si l’on doit laisser le Parlement le discuter aussi longtemps qu’il le souhaite ou si la discussion parlementaire doit être enfermée dans des délais. Les solutions adoptées divergent d’un pays à l’autre.

En Angleterre, la durée de la discussion budgétaire n’est limitée coutumièrement qu’en ce qui concerne le vote des dépenses. Les discussions sur la politique budgétaire et les recettes ne sont enfermées dans aucun délai. Mais le Parlement n’abuse pas de sa liberté. En outre, un certain nombre de mécanismes viennent résoudre les problèmes que soulève le débordement de la discussion budgétaire sur l’année d’exécution du budget. Dès que le budget speech est prononcé et le financial statement déposé, les projets de modification fiscale sont immédiatement rendus exécutoires par un vote de la Chambre, conformément au Provisional Collection of Taxes Act de 1913, pour éviter qu’ils ne donnent naissance à des spéculations. Pour les dépenses, les administrations reçoivent des crédits provisoires, par le vote on account , qui leur permettent de fonctionner jusqu’au vote définitif du budget. En Allemagne et en Italie, la durée de la discussion budgétaire n’est pas limitée. Il a donc été nécessaire de prévoir des palliatifs au cas où le budget ne serait pas voté le premier jour de l’année de son application. Ces palliatifs concernent les dépenses, et l’article 3 de la Constitution allemande du 23 mai 1949 donne une liste des dépenses qui peuvent continuer à être payées. L’article 81 de la Constitution italienne du 27 décembre 1947 prévoit la possibilité de budgets partiels et provisoires d’un maximum de quatre mois en cas de retard dans le vote du budget. En France, sous les IIIe et IVe Républiques, les retards étaient très fréquents dans le vote du budget: ainsi, le budget de 1955 ne fut adopté qu’au mois d’août de l’année de son application! Il fallait donc voter des «douzièmes provisoires» dont le contenu a parfois varié, mais qui, pour l’essentiel, reconduisaient la perception des impôts existants et accordaient aux administrations un ou plusieurs douzièmes du total des crédits dont elles avaient bénéficié l’année précédente. C’était un procédé à la fois dispendieux et désorganisateur, que l’on ne pratique plus à l’heure actuelle en raison des réformes apportées par la Constitution du 4 octobre 1958. Cette dernière a prévu deux dispositifs: l’un est destiné à limiter la durée de la discussion budgétaire, l’autre édicte les dispositions à prendre lorsque le budget n’est pas voté le 1er janvier de l’année de son application. D’après les dispositions constitutionnelles, la discussion budgétaire est enfermée dans un délai global de 70 jours, décomposé en délais partiels. L’absence de vote définitif à l’issue du délai de 70 jours a une conséquence radicale: le gouvernement peut mettre en vigueur le projet de budget par «ordonnances». Le second dispositif de la Constitution du 4 octobre 1958 vise le cas où le délai de 70 jours n’est pas expiré le 1er janvier de l’année d’application du budget. Cela peut se produire, et s’est déjà produit, lorsque le gouvernement dépose le projet de budget en retard. Alors, deux procédures d’urgence sont prévues; l’une et l’autre accordent au gouvernement le droit de percevoir les impôts et d’ouvrir par décrets les crédits se rapportant aux «services votés». En revanche, pour les crédits relatifs aux «autorisations nouvelles», il faudra attendre l’expiration du délai de 70 jours, c’est-à-dire que le budget soit voté ou qu’il soit mis en vigueur par ordonnance.

Les modifications du budget

Le législatif disposait traditionnellement du droit d’amendement en matière budgétaire. C’est pourtant un droit qui lui a été progressivement contesté, à la fois parce que son libre exercice pourrait introduire des incohérences et des contradictions dans un document qui est conçu pour faire face à une situation économique donnée, et en raison du comportement des parlementaires qui, pour plaire à leurs électeurs, sont assez portés à augmenter les dépenses et à réduire les impôts. C’est pourquoi sont apparues certaines limitations du droit d’amendement pendant la discussion budgétaire. Ainsi, en Angleterre, d’après le règlement intérieur de la Chambre des communes, les députés n’ont pas l’initiative de l’augmentation des dépenses, mais ils peuvent les réduire. En matière de recettes fiscales, leur droit d’amendement est théoriquement intact, mais les seuls amendements qui passent dans le droit positif sont ceux qu’accepte le gouvernement. Les autres sont toujours soit retirés, soit rejetés, compte tenu de la solidité de la majorité gouvernementale. En France, ici encore, on est allé beaucoup plus loin en plusieurs étapes. L’article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958 marque le point ultime de cette évolution en interdisant totalement les initiatives parlementaires tendant à augmenter les dépenses ou à diminuer les ressources. Cette interdiction est absolue: elle vise tous les membres du Parlement, joue en tout temps, frappe toutes les formes de l’initiative parlementaire, s’applique non seulement aux finances de l’État, mais aussi à celles des collectivités locales. Enfin et surtout, il est difficile de la tourner. Le Parlement ne peut plus utiliser une procédure ancienne, qui consistait à suspendre l’examen d’un chapitre litigieux jusqu’à ce que le gouvernement présente une «lettre rectificative» augmentant la dotation du chapitre en cause, puisque la discussion et le vote du budget sont enfermés dans des délais à l’expiration desquels le gouvernement peut mettre le projet en vigueur par ordonnances. Il semble d’ailleurs qu’on soit allé trop loin et que les limites posées à l’initiative financière mettent en cause l’initiative législative elle-même, car ce n’est qu’exceptionnellement que des propositions de lois n’auront pas de répercussions financières et pourront être mises en application sans entraîner un surcroît de dépenses publiques.

Le contrôle de l’exécution du budget

Le législatif dispose enfin du droit de contrôler l’exécution du budget faite par le gouvernement. C’est là théoriquement une tâche fondamentale, indispensable pour donner sa véritable portée à l’autorisation parlementaire. Si ce contrôle n’existait pas, le gouvernement pourrait exécuter un budget différent du budget voté par le Parlement, de sorte que l’autorisation parlementaire deviendrait une formalité sans conséquences. Dans un certain nombre de pays, ce contrôle est mené en deux temps. Les comptes budgétaires sont d’abord vérifiés par un organisme spécialisé dans la comptabilité publique, indépendant du gouvernement, qui prépare le travail des parlementaires. En Angleterre, c’est l’œuvre des services du Comptroller and Auditor General ; en France et en Allemagne fédérale, c’est à une Cour des comptes qu’est confiée cette mission. Ultérieurement intervient un contrôle politique, mené par le législatif et destiné à donner quitus au gouvernement. La procédure anglaise fait intervenir un comité de la Chambre des communes, le Public Accounts Committee , et si un désaccord apparaît entre ce comité et la Trésorerie, c’est à la Chambre entière qu’il appartient de le trancher. La Constitution française, dans son article 44, et celle de la république fédérale d’Allemagne, dans son article 114, prévoient qu’un projet de «loi de règlement» est soumis au vote du législatif. Néanmoins, si on saisit parfaitement l’objet de la loi de règlement, ses modalités sont difficiles à organiser, car on se trouve pris entre deux exigences contradictoires: d’une part, il faut laisser s’écouler suffisamment de temps après l’exécution du budget pour présenter des comptes en ordre, d’autre part, il faut présenter le projet de loi de règlement le plus rapidement possible pour que son examen par le Parlement présente quelque intérêt. À cet égard, l’expérience française est caractéristique. Pendant fort longtemps, les projets de loi de règlement ont été déposés avec des retards excédant parfois dix ans. Il est bien évident qu’ils ne servaient plus à rien. Le Parlement s’en désintéressait, car il pouvait être d’une composition humaine et politique très différente de celui qui avait voté le budget qu’il s’agissait de régler et, de toute façon, les irrégularités commises dans l’exécution de ce budget échappaient à toute sanction politique ou juridique. Pour éviter de telles situations, la Constitution allemande fixe un délai pour présenter le projet de loi de règlement et, en France, l’article 38 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 prévoit qu’il doit être déposé et distribué au plus tard à la fin de l’année qui suit celle de l’exécution du budget. On doit d’ailleurs remarquer que, malgré une diminution sensible des délais de présentation, cette disposition n’a pas été respectée jusqu’à présent.

L’étude comparative des droits du Parlement et du gouvernement en matière budgétaire fait apparaître de notables décalages selon les régimes politiques et les pays considérés. En régime présidentiel, le Parlement conserve encore un pouvoir de décision étendu. En régime parlementaire, les règles du droit budgétaire ont évolué, de sorte que le Parlement dispose plus d’un «pouvoir de persuasion» que d’un pouvoir de décision. C’est particulièrement exact pour l’Angleterre, compte tenu des conditions de fonctionnement du régime de ce pays. C’est aussi valable pour la France, avec cette réserve que le Parlement peut toujours refuser de voter un budget et que, ce faisant, il conserve un ultime pouvoir de décision.

De même, toujours sous la pression des nouvelles missions économiques du budget, les grands principes qui présidaient à sa présentation et à son contenu ont profondément évolué.

2. Les nouvelles missions du budget et l’évolution des principes du droit budgétaire

Les quatre grands principes du droit budgétaire forgés au XIXe siècle ne répondaient pas tous au même objectif. Les principes de l’universalité, de l’unité et de l’annualité étaient destinés à garantir au Parlement qu’il voterait chaque année un document clair et complet. Leur existence est réaffirmée à notre époque, puisque l’autorisation parlementaire en matière budgétaire subsiste elle-même. Mais ces trois principes ont, à des degrés divers, perdu leur caractère absolu et ils ont tous subi des atteintes sous la pression des nouvelles missions économiques du budget. Néanmoins, le principe de l’universalité, qui signifie que toutes les charges et toutes les ressources de l’État doivent figurer dans le budget, et le principe de l’unité, qui exige que ces ressources et ces charges soient inscrites dans un seul document budgétaire, sont les moins contestés par la doctrine moderne, et ce sont ceux qui se concilient le plus facilement avec ces nouvelles missions économiques et qui résistent le mieux, après une période de désordres dus à la Seconde Guerre mondiale. En revanche, le principe de l’annualité budgétaire, selon lequel le budget est voté chaque année pour un an, est de plus en plus discuté.

Le dernier de ces principes, celui de l’équilibre budgétaire, avait initialement un objectif différent des autres. Il était censé préserver la neutralité des finances publiques. Il a pratiquement succombé à notre époque sous la pression du dirigisme économique et avec la mise en œuvre d’une politique budgétaire interventionniste.

Les atteintes au principe de l’annualité budgétaire

La règle selon laquelle le budget est voté chaque année pour un an reste inscrite aussi bien dans le droit positif français que dans celui des pays étrangers. Elle est couramment pratiquée en Grande-Bretagne, prévue dans la loi fondamentale allemande et la Constitution italienne. L’année budgétaire ne coïncide pas obligatoirement avec l’année civile. S’il en va ainsi en France, l’année budgétaire commence le 1er avril en Grande-Bretagne et le 1er juillet aux États-Unis.

L’existence du principe de l’annualité budgétaire a tenu d’abord à une raison politique. L’autorisation budgétaire n’étant donnée que pour un an, le législatif avait l’assurance qu’il serait convoqué au moins une fois chaque année en session budgétaire. Au fur et à mesure que les régimes politiques se sont démocratisés, ce principe a progressivement perdu son rôle politique pour acquérir une raison d’être technique. À l’époque actuelle, il est surtout destiné à assurer la sincérité du contenu du budget et à permettre au législateur de prendre une décision sur un document qui aura quelques chances de s’appliquer effectivement. Il est déjà difficile de prévoir avec une exactitude relative l’évolution des recettes et des dépenses pendant l’année suivante lorsqu’on prépare le projet de budget, à plus forte raison ces prévisions risqueraient de se révéler totalement inexactes si l’on dépassait le cadre annuel.

Pourtant, le principe de l’annualité ne va pas sans soulever des problèmes de plus en plus aigus au fur et à mesure que l’État intervient dans l’économie. Il se heurte à deux difficultés majeures: comment réaliser en un an des investissements publics de plus en plus complexes, et comment concilier un budget annuel avec un plan pluriannuel, du moins dans les pays qui pratiquent la planification.

«Autorisation de programme» et «crédits de paiement»

La complexité croissante des investissements publics, qui se manifeste aussi bien pour des opérations en capital que pour l’achat de certains matériels civils ou militaires, a progressivement obligé les textes budgétaires modernes à dépasser le cadre annuel. Ainsi, l’article 110 de la loi fondamentale de la république fédérale d’Allemagne prévoit que «dans certains cas particuliers, elles (les dépenses) peuvent être autorisées pour une période plus longue». De même aux ÉtatsUnis, plusieurs procédures ont été mises au point pour résoudre ce problème. Tout d’abord, l’annualité des crédits de paiement n’est pas toujours obligatoire. Le Congrès, à la demande du gouvernement, peut décider qu’un crédit aura une validité supérieure à un an, ce qui explique les reports très considérables effectués d’une année sur l’autre. De plus, certaines autorisations de dépenses ont une durée illimitée, mais ne donnent pas lieu à une ouverture immédiate de la totalité des crédits de paiement qui seront nécessaires pour les financer. Cette dernière formule n’est d’ailleurs guère employée par le Congrès. En France, on retrouve ces deux possibilités, mais l’importance de leur utilisation est inversée par rapport aux États-Unis. On s’est efforcé de conserver le principe de l’annualité pour les crédits de paiement tout en autorisant certains reports d’une année sur l’autre. Mais ces reports demeurent des exceptions et sont plus ou moins considérés comme le signe d’une mauvaise gestion de la part de l’administration qui les pratique. La technique des «autorisations de programme», qui élargit le cadre annuel, est couramment utilisée contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. Elle permet au gouvernement de proposer – et au Parlement d’autoriser – l’engagement de l’ensemble des dépenses nécessaires à la mise en œuvre d’un programme dont la réalisation durera plusieurs années, étant entendu que les crédits de paiement ne sont pas tous ouverts en bloc et dès le début des travaux dont l’engagement a été autorisé. Chaque budget ne comporte que les crédits de paiement nécessaires au règlement de la fraction de programme réalisée pendant l’année budgétaire. La solution française aboutit donc à un compromis qui dissocie les diverses phases de l’opération de dépenses publiques. L’autorisation de programme, d’une durée illimitée, permet l’engagement complet de toutes les dépenses nécessaires pour mener à bien une opération en capital, mais les crédits de paiement demeurent soumis au principe de l’annualité.

L’insertion du budget dans les mécanismes de la planification

La seconde grande difficulté à laquelle se heurte le principe de l’annualité réside dans l’existence d’un plan pluriannuel. Les finances publiques sont le levier essentiel de la réalisation du plan, qu’il soit obligatoire, comme dans les pays socialistes, ou qu’il s’agisse d’une planification souple, comme en France. À première vue, une liaison idéale entre le plan et le budget exigerait qu’ils aient la même durée. Le plan fixerait les objectifs et évaluerait les moyens nécessaires pour les atteindre. Le budget accorderait, pour la même période, l’ensemble des autorisations. Malheureusement, un tel schéma n’est ni idéal ni réaliste. À supposer que les objectifs du plan ne subissent aucune variation pendant sa période d’application, les prévisions budgétaires faites quatre ou cinq ans à l’avance perdraient toute rigueur, pour différents motifs et notamment en raison des fluctuations monétaires. Deux solutions seraient alors possibles: ou l’autorisation budgétaire conserverait son caractère limitatif et le plan ne pourrait être entièrement réalisé; ou elle prendrait un caractère évaluatif, ce qui permettrait de mener à bien le plan, mais elle perdrait toute portée puisque le chiffre voté par le législateur serait susceptible d’être modifié. Il y a encore plus grave. Le plan n’est pas un texte rigide. Il est susceptible d’adaptations ou de modifications, ce qui rend sa liaison avec le budget encore plus difficile. On retrouve toujours le même problème si l’on veut réaliser complètement le plan: ou le gouvernement peut adapter le budget aux objectifs révisés du plan et il n’y a plus de budget proprement dit, ou on demande au législateur de le modifier et mieux vaut encore garder un budget annuel. C’est ce que font les pays socialistes chez lesquels le plan a cependant un contenu obligatoire. C’est aussi la formule française dans laquelle il n’a pas de valeur budgétaire. Les prévisions qu’il établit ne permettent d’engager de dépenses que dans la mesure où elles sont reprises dans des «autorisations de programme» inscrites dans un budget et ne donnent lieu à paiement que dans la mesure où un budget annuel ouvre des «crédits de paiement sur opérations en capital».

Au total, le principe de l’annualité connaît de nombreuses exceptions, mais il survit, autant d’ailleurs pour des raisons pratiques que pour des raisons politiques. Il n’en va pas de même pour le principe de l’équilibre.

Le déclin du principe de l’équilibre budgétaire

Le principe de l’équilibre systématique, d’un équilibre recherché pour lui-même, indépendamment du contexte économique, a presque disparu à l’époque actuelle. S’il n’a pas complètement disparu, c’est qu’il demeure encore psychologiquement payant: les citoyens transposent aux finances de l’État leurs principes d’économie privée selon lesquels on ne peut rester très longtemps en déficit sans encourir de catastrophes financières. Plusieurs expériences budgétaires françaises fondées sur les mérites de l’équilibre peuvent être mentionnées. Ainsi l’expérience Laval de 1935 s’analysait comme un effort désespéré pour équilibrer le budget dans une économie déflationniste, ce qui ne pouvait qu’empirer la situation. Plus près de nous, le budget de 1965 ayant été voté et exécuté en équilibre, il avait été question d’inscrire dans une loi organique l’obligation de présenter un budget en équilibre. On a sagement renoncé à ce principe quelque peu rétrograde et surtout peu susceptible de résister aux fluctuations économiques qui exigent une action corrective de la part des finances publiques. On doit cependant signaler que cette recherche systématique de l’équilibre figure dans la Constitution allemande. C’est une exigence qui pourrait parfois obliger à certaines hypocrisies: on présenterait et on voterait un budget en équilibre, quitte à l’exécuter de manière déficitaire.

Dans la plupart des pays européens, les budgets au lendemain de la guerre ont été déséquilibrés, non seulement pour faire face aux nécessités de la reconstruction, mais aussi pour provoquer une relance économique. La reconstruction étant maintenant achevée, les déficits que l’on rencontre ont un objectif principalement économique. Ainsi, le budget français de 1966 s’est soldé, après exécution, par un déficit de 4,64 milliards de francs, le budget néerlandais pour 1968 est présenté avec un déficit de 3,8 milliards de florins et l’exécution du budget des États-Unis pour l’exercice 1967 a fait apparaître un déficit de près de 10 milliards de dollars.

Cela ne veut cependant pas dire qu’à l’heure actuelle les budgets doivent être systématiquement en déséquilibre, comme le laisseraient supposer certaines théories, entre autres celle de l’«impasse systématique». Il subsiste des budgets présentés et exécutés en équilibre. Mais l’équilibre actuel n’a rien à voir avec celui du XIXe siècle: ce n’est plus un équilibre «en soi et pour soi», mais un équilibre destiné à agir pendant une courte période, sur une situation économique donnée. Ainsi, en France, dans le cadre du plan de stabilisation de 1963 destiné à lutter contre l’inflation, les déficits ont tout d’abord été réduits, puis le budget a été présenté en équilibre et même exécuté ainsi pendant une année. Inversement, lorsque le besoin d’une relance économique s’est fait sentir, l’exécution des budgets a fait de nouveau apparaître un déficit. L’exemple des fluctuations de la fiscalité directe aux États-Unis est aussi caractéristique. Cette politique, connue sous le nom de «flexibilité fiscale», consiste à faire varier le niveau du prélèvement fiscal opéré par l’impôt direct pour corriger les mouvements de la conjoncture économique. Ainsi, bien que le budget des États-Unis soit en déficit depuis une dizaine d’années, les présidents ont fait voter par le Congrès en 1962 un «crédit d’impôt» sur les investissements, et en 1964 un allégement substantiel des impôts sur le revenu. Ces mesures étaient destinées à relancer l’économie, quitte à déséquilibrer un peu plus le budget à court terme. Inversement, la «surtaxe d’impôt» proposée en 1967 n’avait pas pour objet essentiel de résorber le déficit budgétaire, mais de juguler l’inflation. Ces exemples prouvent que l’équilibre budgétaire n’est plus qu’un instrument de la politique économique: atteint avec plus ou moins de difficultés lorsqu’il peut servir cette politique, il est abandonné aussitôt qu’il s’avère perturbateur.

3. Budget et politique financière

Dans la pluralité des perspectives administratives, juridiques, sociologiques, économiques et politiques qui caractérisent le budget, l’approche économique privilégie l’activité organisationnelle de la puissance publique qui coordonne ressources et emplois afin de satisfaire les besoins publics. L’activité de la puissance publique est à l’évidence celle d’un centre de décision établissant son programme (ou son plan) de comportement dans la perspective d’un horizon significatif de la vie économique. En ce sens, le budget est un programme (ou un plan) que la spécificité de son objet, les modalités particulières de son institutionnalisation, tout autant que l’expérience historique de son développement, conduisent traditionnellement à qualifier de programme financier de la puissance publique. Expression économique et financière des options du pouvoir, le budget est l’instrument de la stratégie financière de la puissance publique .

Le budget, programme financier de la puissance publique

L’élaboration du budget suppose un ensemble ordonné d’opérations que s’assigne le centre de décision budgétaire dans une perspective temporelle – généralement annuelle –; le budget-programme financier tend d’ailleurs, de nos jours et dans de nombreux pays, à s’articuler à des programmes plus généraux d’activité économique nationale: budget économique ou plan.

Le centre de décision budgétaire

L’analyse du centre de décision budgétaire implique, en un premier temps, catégorisation de l’agent qui établit le budget; en un second temps, elle permet de faire apparaître les détenteurs effectifs du pouvoir de décision budgétaire.

La catégorisation de l’agent qui établit le budget permet de définir en termes économiques la notion juridico-administrative de personne publique, unité centrale de l’analyse habituelle des finances publiques. L’approche financière traditionnelle retient surtout de la personne publique – essentiellement l’État – qu’elle est l’utilisatrice de procédés de contrainte spécialement établis en vue d’assurer le financement de charges publiques qu’il y a lieu de couvrir. L’approche économique oppose, en termes de comptes nationaux, les administrations aux autres agents. L’agent «administrations», unité «non marchande», regroupe en effet l’ensemble des organismes dont les ressources ne sont pas constituées par le produit de ventes sur un marché. Les administrations publiques, selon l’approche économique de la notion de personne publique, sont: l’État (administration centrale et services extérieurs), les collectivités locales, les organismes semi-publics d’action économique et les organismes de Sécurité sociale. Mais, bien évidemment, toutes les branches «marchandes» appartenant à ces organismes (par exemple, le service des postes, télégraphes et téléphones) ne sont pas regroupées sous l’expression «administrations publiques», puisque le calcul économique de ces unités est fondé sur la logique du marché.

Les détenteurs effectifs du pouvoir de décision budgétaire apparaissent au grand jour; il est alors permis de préciser en termes économiquement significatifs le principe de souveraineté financière qui appartient aux représentants du peuple. Pour le budget de l’État, spécialement dans les pays de démocratie pluraliste, ce principe qui fait du pouvoir législatif le centre de décision souverain en matière financière est un simple aboutissement de l’histoire constitutionnelle. Mais cette souveraineté est aujourd’hui largement atténuée par les prérogatives reconnues au pouvoir exécutif dans ces mêmes pays. C’est qu’en effet, si l’acte budgétaire suppose autorisation , il implique aussi au préalable prévision. Or cette prévision est affaire complexe et technique; elle s’insère dans une politique économique et financière plus générale: seul l’exécutif a les moyens de préparer le budget-programme financier qui engage l’État dans ses options politico-économiques essentielles; de même, seul l’exécutif peut assurer effectivement l’exécution de ce budget. En fait, et c’est là la situation générale dans la plupart des pays, le rôle du pouvoir législatif tend à se réduire, au travers de procédures parlementaires diverses (en France, la reconduction des «services votés» et l’usage systématique du «vote bloqué»), à un vote d’autorisation budgétaire plus ou moins différencié, symbole de l’adhésion de la majorité aux options du gouvernement traduites en termes de programme financier. À ce rôle d’autorisation s’ajoute un rôle de contrôle d’exécution, en fait généralement trop tardif pour avoir une efficacité réelle. En définitive, c’est à un glissement du centre de décision budgétaire de l’État, du législatif vers l’exécutif, que l’on assiste. Pour les budgets des autres organismes constitutifs de l’agent économique «administrations publiques», la détermination du centre de décision budgétaire est étroitement fonction du degré de décentralisation juridique, administrative et politique existant dans l’économie étudiée. En règle générale, dans les États centralisés, comme la France, l’assujettissement de ces organismes à la tutelle de l’appareil étatique limite considérablement leur autonomie et leur souveraineté budgétaire; dans les États décentralisés, comme la république fédérale d’Allemagne et les États-Unis d’Amérique, l’indépendance budgétaire à l’égard du pouvoir central est beaucoup plus grande. Il est néanmoins certain que les exigences de politique générale de la puissance publique tendent de facto à déplacer vers l’autorité centrale ou fédérale le pouvoir de décision budgétaire de ces organismes décentralisés ou fédérés.

Les opérations budgétaires

Le centre de décision qui programme les opérations budgétaires coordonne un ensemble de ressources et d’emplois en vue de satisfaire les besoins publics pour une période donnée; c’est cet ensemble qui exige d’être précisé, tant dans son contenu que dans son ordonnancement.

Le contenu des opérations budgétaires dépend étroitement de l’objectif final que s’assigne le programme financier de la puissance publique: la satisfaction de besoins publics en est l’expression la plus schématique. Il faut entendre par besoins publics «les besoins collectifs dont la satisfaction correspond à une utilité collective résultant d’une estimation faite par l’État au nom du groupe qui, présumant qu’elle est appréciée par tous, en met la réalisation à la charge de la collectivité» (A. Barrère). À l’évidence, la détermination de ces besoins publics relève d’un choix politique: c’est celui qu’effectue la puissance publique en définissant les grandes options de son budget. La détermination des moyens de satisfaction de ces besoins relève pour sa part d’un choix économique: c’est celui qu’effectue la puissance publique en précisant les emplois et ressources constitutifs de son programme budgétaire.

Ces choix s’opèrent généralement dans le cadre de l’année budgétaire, et ce principe d’annualité se justifie sur le plan politique comme sur le plan technique. Politiquement, le budget est dans une certaine mesure un blanc-seing donné au gouvernement; il faut donc que l’autorisation budgétaire soit limitée dans le temps, afin que les représentants du peuple puissent exercer leur contrôle. Techniquement, le budget exige une prévision «fine»; or il est souvent apparu difficile de programmer dans le détail l’ensemble des opérations budgétaires au-delà d’une période annuelle, surtout lorsque les techniques de prévision étaient quasi inexistantes, retard méthodologique qui cadrait d’ailleurs parfaitement avec le «laissez-faire» qui inspirait la politique économique. En fait, le respect de cette norme d’annualité que l’on rencontre encore dans la quasi-totalité des procédures budgétaires est largement contredite par l’insertion du budget de la puissance publique dans les programmes, souvent pluriannuels, de l’activité économique nationale. Nonobstant cette tendance à l’allongement de la perspective temporelle, l’ensemble des ressources et emplois qui définissent le contenu du programme financier de l’État recouvre les recettes et dépenses publiques que ce dernier est disposé à opérer dans l’horizon qu’il se fixe. Les dépenses publiques ou prestations aboutissent à la mise à la disposition des agents constitutifs de l’économie nationale de moyens susceptibles d’assurer la satisfaction des besoins publics relevant de cette économie et reconnus comme tels par l’État. Les recettes publiques ou prélèvements permettent à la puissance publique de se procurer, par voie de contrainte ou de spontanéité auprès des agents constitutifs de l’économie nationale, des moyens de financement qui permettent la réalisation effective des opérations de dépense.

L’ordonnancement des opérations budgétaires, schématisé en différents types de présentation des recettes et dépenses publiques, permet de préciser la signification effective de ces dernières au regard des critères qui sous-tendent ces présentations.

Les critères administratifs d’opérations budgétaires s’inscrivent généralement dans une double norme dite d’unité et d’universalité. Le principe d’unité (ou de synthèse), essentiellement motivé par la volonté de permettre aux détenteurs de la souveraineté financière une vision unitaire et complète des prévisions de recettes et dépenses publiques, implique que toutes ces recettes et dépenses figurent en un compte unique. Le principe d’universalité (ou d’analyse), inspiré par la volonté de présenter une analyse exhaustive du budget, implique que toutes les recettes et toutes les dépenses soient rassemblées au sein des documents budgétaires dans leur intégralité, c’est-à-dire sans compensation comptable. En fait, cette double norme, autrefois scrupuleusement respectée, est devenue aujourd’hui un simple guide de présentation, souffrant de nombreuses exceptions. L’exemple français est à cet égard significatif puisque la pratique administrative actuelle distingue: d’une part, les opérations à caractère définitif, comprenant les recettes et les dépenses du budget général, des budgets annexes et de la plupart des comptes d’affectation spéciale; d’autre part, les opérations à caractère temporaire, comprenant en dépenses les prêts et avances accordés par l’État, et en recettes les remboursements effectués par les bénéficiaires.

Les critères économiques d’opérations budgétaires ne posent guère de problèmes pour les recettes: analystes et praticiens s’accordent à distinguer nettement recettes à titre définitif (impôts et recettes diverses) et recettes à titre temporaire (emprunts); la catégorie «impôt» est d’ailleurs ventilée suivant le phénomène économique atteint par le fait fiscal (revenu, dépense ou fortune). En revanche, pour les dépenses publiques, de nombreuses schématisations ont pu être proposées. La distinction entre dépenses effectives et dépenses de transfert permet d’opposer les dépenses résultant de la rémunération par l’État de services productifs achetés par l’Administration (dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement dites «effectives») et les dépenses réalisant des transferts de revenus entre unités économiques (dépenses de transferts). La distinction entre dépenses courantes et dépenses en capital, d’usage constant dans les présentations budgétaires en termes de comptes nationaux, permet de classer les dépenses suivant leur type de participation à la formation de la valeur ajoutée et à l’accumulation du capital dans une économie. La distinction entre dépenses improductives et dépenses productives, au-delà de son contenu mythologique, ne prend véritablement de sens que dans une schématisation opposant dépenses de consommation et dépenses contribuant à l’accroissement du potentiel économique; mais cette optique recoupe alors largement la classification précédente. La distinction entre dépenses définitives et dépenses temporaires permet d’opposer les dépenses ayant un effet immédiat sur les circuits de financement (les dépenses temporaires s’analysent en prêts et avances qui contribuent à accroître l’offre de fonds susceptibles d’être prêtés) et les dépenses ayant un effet médiat sur ces mêmes circuits (influence de la variation du pouvoir d’achat liée à la réalisation des dépenses définitives).

À côté de ces diverses distinctions d’usage courant dans les pratiques budgétaires contemporaines, on notera l’existence de plusieurs propositions théoriques de présentations types, qui soulignent l’économicité de la dépense publique. On se bornera à insister ici sur la classification dite fonctionnelle. Cette dernière vise à définir les objectifs-dépenses de la puissance publique en grandes fonctions d’activité: administration générale, défense nationale, action économique, action sociale, etc.; ainsi pourrait-on mieux apprécier la portée et la signification économique du programme gouvernemental. Cette classification fonctionnelle fait aujourd’hui l’objet de diverses applications parcellaires, notamment en France et aux Pays-Bas; on est cependant forcé de reconnaître que cette présentation, spécialement en France, est malheureusement «noyée» dans une schématisation administrative qui dénature l’essentiel de sa signification économique.

Budget financier, budget économique et plan

Le développement des modèles de politique économique, lié notamment aux progrès des travaux des comptables nationaux, tend à doter tous les pays industriels de programmes d’activité nationale schématisés en budgets économiques-programmes à court terme et plans-programmes à moyen et long terme: c’est dans ce type de programmes généraux qu’il convient désormais d’insérer le budget-programme financier de la puissance publique.

L’insertion du budget financier dans le budget économique s’opère aisément dans toute économie dotée d’un système de comptabilité nationale. Lors de la confection des comptes nationaux, les centres de décision budgétaire précédemment évoqués se combinent en effet pour constituer le sous-agent «administration publique» (partie du compte «administrations»): tenir le compte de cette unité économique signifie donc, sous réserve d’écritures comptables spécifiques, retracer les opérations budgétaires de l’État et autres centres de décision budgétaire (cf. figure).

Lors de la projection à court terme des comptes nationaux, base d’élaboration des budgets économiques, les prévisions faites sur l’activité de l’agent État – et donc sur le budget – sont directement intégrées par le comptable national dans son modèle spécifique de projection. De fait, compte tenu de l’importance du compte de cet agent et des interrelations entre décisions budgétaires et décisions économiques des autres agents, la pratique des budgets économiques conduit généralement à distinguer les esquisses exploratoires (avant connaissance du budget financier de l’année pour laquelle on établit le budget économique) des esquisses prévisionnelles plus approfondies, fondées notamment sur l’insertion du budget financier dans le budget économique.

L’insertion du budget financier dans les plans-programmes à moyen et long terme est quasi automatique dans les économies socialistes: le programme financier de l’État, qui traduit les interventions directes de la puissance publique, est une pièce maîtresse du plan économique annuel, étape et cheminement fondamental de réalisation du plan à long terme. Dans les économies programmées de type occidental, l’articulation budget-plan présente des lacunes considérables. L’économie française, prototype d’expérience de planification souple, dispose d’un plan – quinquennal depuis le Ve plan – fondé sur une projection pour une année dite terminale, sans précision de cheminements conjoncturels (sous réserve de mesures discrétionnaires qui pourraient être prises sur le vu d’indicateurs d’alerte). Il y a donc un hiatus entre la décision budgétaire publique annuelle et la décision de politique économique qui intervient tous les cinq ans: aussi est-il fréquent que des décisions inspirées de motivations à court terme viennent compromettre la réalisation d’objectifs à moyen terme. Pour pallier ces insuffisances et tenir compte du caractère pluriannuel des dépenses budgétaires, une procédure dite des autorisations de programme a été mise sur pied depuis quelques années: elle permet l’engagement de dépenses sans limitation de durée (sauf annulation par un vote du Parlement). Mais le visa du contrôleur financier s’avère nécessaire pour tout engagement, et des crédits de paiement doivent être dégagés annuellement: il y a là tout un système de «freins et contrepoids» qui ne permet pas véritablement d’assurer l’articulation entre opérations budgétaires à court terme et exigences d’opérations publiques à moyen terme.

L’économie des États-Unis, qui cependant ne dispose pas d’un plan à moyen terme, s’interroge pour sa part sur l’insertion du budget annuel dans une perspective temporelle plus ample. Cette interrogation ressortit d’abord à des réflexions sur la notion de budget fonctionnel proposée par une commission Hoover en 1949-1950 et reprise par divers analystes. Cette notion est beaucoup plus systématique que la simple présentation fonctionnelle de dépenses précédemment évoquée. Elle implique que chaque échelon administratif formule son programme d’action, précise les moyens à mettre en œuvre pour l’exécuter, propose un calendrier de réalisation et des procédures de contrôle généralement fondées sur un calcul d’efficience en termes de gains et coûts. À partir de là s’élabore une procédure dite Planning, Programming, Budgeting System (P.P.B.S.), qui rendrait possible une articulation budget-plan. Cette procédure repose en effet sur trois séries d’opérations: chaque unité administrative précise quantitativement le choix des objectifs afférents à son action à moyen et long terme (planning ); elle détermine ensuite les moyens alternatifs permettant d’atteindre les objectifs et les moyens retenus font alors l’objet d’un programme intertemporel assorti d’un calendrier financier (programming ); l’ensemble des moyens évalués en termes de coûts monétaires fait l’objet d’une décision budgétaire séquentielle (budgeting ). Cette procédure, qui se généralise aux États-Unis depuis 1965 et fait l’objet d’études approfondies chez les praticiens et analystes de tous les pays occidentaux, s’avère fructueuse.

Le budget, instrument de stratégie financière

Expression des choix de la puissance publique, le budget, par la politique qu’il contribue à promouvoir, est une variable de première importance dans l’action économique du pouvoir: les politiques des composantes et soldes budgétaires sont deux éléments essentiels de stratégies budgétaires globales, inscrites dans les stratégies d’un développement harmonisé de l’économie.

La politique des composantes budgétaires

La politique des composantes budgétaires porte sur l’ensemble des opérations constitutives du programme financier de la puissance publique: c’est dire qu’elle est conjointement politique de dépenses et de recettes publiques.

La politique des dépenses publiques s’assigne un double objectif: sélection optimale des dépenses, réallocation des ressources par l’action correctrice de ces dépenses. La sélection optimale des dépenses publiques a donné lieu à de nombreuses recherches analytiques, généralement inspirées des théories marginalistes de l’optimum de gestion. Dans cette optique, la politique optimale de dépense publique est celle qui égalise, pour une unité économique donnée, l’utilité marginale retirée de la dépense privée réalisée par cette même unité. Ce principe d’égalisation des utilités marginales est reconnu valable, tant pour la fixation du montant global de la dépense publique que pour le choix entre diverses dépenses publiques. De fait, malgré d’importants travaux théoriques récents, ce critère demeure très largement inopérationnel, de sorte que les études d’optimation du choix de dépense publique restent entièrement subordonnées aux efforts d’«objectivation» de l’utilité collective.

La réallocation des ressources par l’action correctrice des dépenses publiques porte essentiellement sur la répartition du revenu des unités économiques. Motivée par des considérations sociales (égalisation des revenus, ou des chances) et par des considérations économiques (diminution de l’excès d’épargne), cette action correctrice se heurte à des difficultés importantes: certains types de répartition de revenu ne permettent guère une redistribution efficace (cas d’une répartition peu dispersée); l’affaiblissement d’un stimulant économique peut engendrer un tassement de productivité; la redistribution risque, dans certaines conjonctures, d’aviver les tensions inflationnistes. Il n’est donc pas surprenant que cette action de la puissance publique, qu’on voulait essentielle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, soit aujourd’hui en large déclin dans la plupart des pays occidentaux.

La politique des recettes publiques s’assigne, elle aussi, un double objectif: sélection optimale des recettes, amélioration des conditions d’efficience économique par l’action de ces recettes. La sélection optimale des recettes a donné lieu à des travaux théoriques d’inspiration identique à celle des travaux qui ont été menés pour l’optimation de la dépense publique: le principe d’égalisation des utilités marginales se retrouve dans la détermination de la recette fiscale optimale et permet même de préciser dans l’optique théorique marginaliste le caractère préférentiel à donner à l’impôt direct sur l’impôt indirect. Mais, indépendamment du fait qu’elles ne fournissent aucun guide pour le choix des recettes non fiscales (et surtout des recettes par voie d’emprunt), ces recherches, comme celles relatives à la théorie de la dépense publique, demeurent encore largement inopérationnelles: le choix optimal des recettes publiques ressortit en fait aux procédures opératoires susceptibles de fournir des indications sur la capacité contributive de l’économie. L’amélioration des conditions d’efficience économique par l’action des recettes publiques porte essentiellement sur la différenciation des impôts en fonction des variables motrices de l’activité économique. Sur ce point, l’évolution des systèmes fiscaux dans la plupart des pays industrialisés est très significative: les systèmes fiscaux centrés sur l’impôt sur le revenu se sont imposés avec le développement économique; en généralisant l’impôt sur le chiffre d’affaires ou la production, on s’est efforcé, entre les deux guerres, de concilier une double exigence de justice et de rendement fiscal; à l’heure actuelle, l’extension d’impôts tels que la taxe sur la valeur ajoutée tend à assurer la non-taxation de l’investissement, élément moteur de l’activité économique.

La politique des soldes budgétaires

La politique des soldes budgétaires ne peut être entièrement séparée de celle des composantes budgétaires, puisque tout solde n’est que la résultante d’un classement particulier de recettes et dépenses et que ses effets restent limités par rapport à ceux des éléments qui le font apparaître. Le caractère émotionnel de la problématique qui concerne les soldes budgétaires exige cependant que l’on s’arrête sur ce problème, aussi bien dans une perspective politique que dans une perspective méthodologique.

Sous l’angle politique, la pensée financière classique a toujours professé à l’égard du solde budgétaire des principes catégoriques. Le budget ne doit pas présenter de solde: dépenses et recettes publiques perçues à titre définitif doivent être strictement égales. C’est la fameuse règle d’équilibre budgétaire que motivent des raisons économiques (défense de la stabilité monétaire, clé de voûte de l’équilibre économique) et politiques (limitation de l’activité budgétaire au profit de l’initiative privée). En fait, ce principe, qui inspire la politique budgétaire, ne repose sur aucune rationalité économique; il cache une préférence doctrinale pour la non-intervention de l’État dans l’activité économique. Dès l’entre-deux-guerres, ce principe a d’ailleurs été dépassé avec la notion de budget cyclique; l’équilibre budgétaire prenait alors son sens en longue période par référence à l’alternance d’excédents et de déficits liés à une succession de prospérités et dépressions. L’impact des idées keynésiennes a d’autre part montré que l’obtention de l’équilibre économique d’ensemble pouvait exiger un déficit systématique susceptible de soutenir une demande globale déficiente; la théorie de la finance fonctionnelle, généralisant cette conception, montrera en définitive que le solde budgétaire doit être subordonné à l’allure générale de l’activité économique.

Sous l’angle méthodologique, la présentation du solde budgétaire a donné lieu à de nombreuses discussions qui ne sont en fait que l’écho de la querelle précédemment évoquée: on se bornera simplement à signaler certains points essentiels du débat.

Certains opposent soldes budgétaires (liés aux opérations budgétaires) et soldes de trésorerie (liés aux flux financiers découlant de l’exécution du budget et replacés dans l’ensemble des flux monétaires et financiers transitant par la trésorerie publique); pour d’autres – c’est la pratique française actuelle – l’impasse ou grand équilibre, défini comme différence entre dépenses à caractère définitif et temporaire et recettes à caractère définitif, doit s’opposer au déficit ou petit équilibre, défini comme différence entre dépenses et recettes à caractère définitif. Une approche en termes de comptes nationaux suggère de centrer l’analyse du solde budgétaire sur la capacité ou le besoin de financement de l’agent «administrations publiques»: l’apparition de ce solde indique la contribution de l’administration publique à la formation de l’épargne-investissement; le règlement de ce solde (mouvement d’actifs financiers) met en évidence la participation de cet agent aux opérations financières de l’économie. Dans cette perspective, on peut aussi signaler la pratique récente due aux conseillers économiques du président des États-Unis. Ceux-ci calculent en termes de comptes nationaux un «solde budgétaire virtuel de plein emploi» qui fait apparaître l’état potentiel qui résulterait de la structure actuelle des dépenses et recettes publiques dans l’hypothèse où l’économie serait en plein emploi. La comparaison de ce solde virtuel avec le solde effectif est à l’évidence un important guide pour l’action par rapport aux objectifs que l’on s’assigne en termes de plein emploi; elle a, d’autre part, la vertu de montrer la différence entre un déficit «subi» et un déficit «volontaire». Il n’est pas interdit de penser qu’une généralisation du calcul de soldes budgétaires virtuels en fonction d’objectifs diversifiés éclairerait la valeur relative de toute notion de solde budgétaire et, partant, rationaliserait l’éventail des politiques possibles à l’égard de ce solde.

Stratégie budgétaire et stratégie du développement harmonisé

La réalisation d’un développement harmonisé de l’économie est, aujourd’hui, dans la majorité des pays, l’objectif fondamental des politiques économiques: c’est dans cette perspective que doit être désormais définie toute stratégie budgétaire, tant au niveau de ses mécanismes opératoires qu’à celui des actions promues par elle.

Les mécanismes opératoires de toute stratégie budgétaire se fondent sur les effets directs et les effets induits des prélèvements et prestations budgétaires. Les effets directs les plus globaux traduisent l’influence immédiate et conjoncturelle qui se manifeste sur la demande globale: effet de réduction lié aux prélèvements, effet d’accroissement lié aux prestations. Les effets induits traduisent l’influence médiate tant sur la conjoncture que sur l’ordonnancement structurel de l’économie. L’analyse économique distingue à ce propos six séries d’effets: multiplication, accélération, redistribution, anticipation, polarisation, entraînement.

Les deux premiers effets (multiplication, accélération) ont donné lieu aux recherches les plus approfondies, qui ne sont d’ailleurs que l’application au budget des théorèmes plus généraux de l’effet multiplicateur-accélérateur. On se bornera à signaler dans ces recherches l’importance de deux théorèmes: théorème de la surcompensation (ou théorème de Boulding), selon lequel la résorption d’un écart inflationniste ou déflationniste par le jeu d’un solde budgétaire implique que la relation écart-solde soit celle du multiplicateur spécifique de l’opération budgétaire qui provoque le solde correcteur; théorème de Haavelmo, selon lequel tout budget en équilibre engendre un effet multiplicateur égal à l’unité (ce qui conduit à rejeter le postulat de neutralité du budget en équilibre). Le troisième effet (redistribution) met en évidence le rôle de filtre, correcteur de répartition des revenus, joué par le budget au travers de l’ensemble des opérations budgétaires. Le quatrième effet (anticipation) traduit la modification des comportements économiques liée à l’existence d’une certaine structure budgétaire. Les derniers effets (polarisation, entraînement), dont l’analyse commence à peine, tentent d’apprécier l’influence motrice des opérations budgétaires dans leur effort de promotion du développement, soit par création de pôles (exemple: en France, les mesures financières en faveur des métropoles d’équilibre dans la politique d’aménagement du territoire), soit par diffusion d’effets de propagation liés au rôle inducteur de certaines opérations (exemple: aux États-Unis, les mesures budgétaires en faveur de la Tennessee Valley Authority au cours de la grande dépression).

Les actions qu’exerce toute stratégie budgétaire peuvent être schématisées en essais de régulation conjoncturelle (court terme) et efforts de promotion du développement (long terme). Les essais de régulation conjoncturelle ont inspiré deux séries de politiques: politique de stabilisation automatique et du budget flexible; politique de compensation active des rythmes conjoncturels. La première politique, d’inspiration néo-libérale, a donné lieu aux États-Unis, dans l’immédiat après-guerre, à la publication de manifestes très significatifs: manifeste du C.E.D. (Comité pour le développement économique) en 1947 et manifeste de Princeton en 1949. Ces manifestes traduisent une défiance pour toute action discrétionnaire et insistent sur les vertus d’automaticité des stabilisateurs incorporés dans le budget. En effet, indiquent-ils, partant d’un équilibre budgétaire, les différents postes du budget réagissent spontanément aux variations conjoncturelles: la récession fait que les recettes fiscales diminuent et qu’augmentent les dépenses publiques; ce qui signifie tendance au déficit et atténuation de la récession. Inversement, l’expansion accroît les recettes et provoque un excédent budgétaire dont les effets déflationnistes tempèrent la surchauffe de l’économie. D’où la politique préconisée par les partisans de ce système: maintien de l’équilibre budgétaire en période de stabilité conjoncturelle et libre jeu des stabilisateurs automatiques dans le cadre de variation conjoncturelle «normale», c’est-à-dire sans gravité particulière. En fait, les nombreuses vérifications statistiques effectuées pour contrôler l’automaticité de la stabilisation montrent que celle-ci est assez limitée (les fluctuations du revenu pourraient être réduites d’un tiers en moyenne dans l’économie américaine); d’autre part, les essais d’application de cette politique, notamment aux États-Unis, ne semblent guère avoir atteint les résultats escomptés. La politique de compensation active des rythmes conjoncturels, d’inspiration nettement keynésienne, n’est que l’application du principe de finance fonctionnelle précédemment évoqué à propos des soldes budgétaires. L’État fait ainsi varier sa propre demande publique pour l’ajuster aux exigences d’une demande globale correspondant au plein emploi. Cette action, qui met en jeu les mécanismes opératoires du ressort multiplicateur-accélérateur, peut s’exercer dans un but de relance, en combinant l’intervention sur la consommation (par voie de dégrèvements fiscaux, d’accroissement de dépenses de transferts ou de correction des revenus dans un sens favorable à la consommation) et l’intervention sur l’investissement (par mise en œuvre de dépenses publiques d’investissement). Cette action peut aussi s’exercer dans le sens d’un freinage de tendances inflationnistes, ce qui exige la combinaison de politiques globales (réduction de la demande par accroissement des impôts et/ou diminution des dépenses) et de politiques sélectives, afin de résorber les tensions à la hausse des prix dans les secteurs où elles se manifestent avec le plus d’intensité ainsi que dans ceux qui sont les plus sensibles à la propagation du phénomène inflationniste (politiques sectorielles de subvention – action sur l’offre – ou d’imposition – action sur la demande).

Ces dernières politiques, c’est évident, exigent un diagnostic préalable souvent délicat du type d’inflation à combattre et des secteurs sur lesquels doit porter l’essentiel de l’action déflationniste. C’est ce type de politique budgétaire active, combiné avec l’apparition de nouveaux instruments d’analyse des finances publiques (notamment le solde budgétaire de plein emploi) qui a inspiré la politique financière des États-Unis depuis 1961: on a vu ainsi se succéder une politique de lutte contre le sous-emploi et une politique de lutte contre la surchauffe, dans laquelle l’action budgétaire a tenu une place centrale; si la première politique a connu un certain succès qu’atteste la croissance continue du produit national brut, l’échec relatif de la seconde semble imputable au caractère trop timoré des mesures prises pour compenser la tendance inflationniste.

Les efforts de promotion du développement inspirés par une stratégie budgétaire à long terme doivent être appréciés différemment suivant qu’il s’agit de pays en voie de développement ou de pays déjà industrialisés. Dans les pays en voie de développement, toute stratégie budgétaire se doit de contribuer à sa manière à la réalisation de la réforme agraire et à la mise en place des industries motrices, conditions de toute amorce sérieuse de développement. C’est dans la mesure où ces pays esquissent ce type de réalisation que la stratégie budgétaire a une chance d’avoir un impact effectif sur le développement. Les stratégies de financement du développement par déficit systématique du budget, que préconisent et pratiquent certains, ne peuvent guère qu’aboutir à la perpétuation de l’inflation de sous-développement, si elles ne s’insèrent pas dans un programme sérieux de développement: c’est ce que montre la quasi-totalité des expériences en la matière, notamment dans les pays latino-américains. Dans les pays déjà industrialisés, la stratégie budgétaire s’inscrit dans une tendance de long terme à l’accroissement de la part du budget dans le produit global (loi d’Adolphe Wagner). Cette tendance permet à la puissance publique de disposer d’une masse de manœuvre croissante pour orienter le développement. Cela lui permet d’opérer tout d’abord au niveau des recettes: en ce sens, le système fiscal est devenu un instrument de premier ordre dans l’exécution des programmes à moyen terme des pays occidentaux. Cela lui permet surtout d’opérer au niveau des dépenses publiques: par une politique de soutien des consommations de développement (santé, éducation, etc.), la réceptivité aux conditions de la croissance peut ainsi être mieux assurée; par une politique d’innovations publiques, les grandes découvertes modernes (nouvelles formes d’énergie, recherche spatiale, informatique, etc.) peuvent être insérées dans le processus de développement, indépendamment des effets entraînants et polarisateurs qui sont susceptibles de s’exercer sur les secteurs industriels déjà établis.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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